Krzysztof Pomian, Karol Modzelewski et Adam Michnik parlent de la Table Ronde polonaise

Le 5 avril 2009, conférence donnée à Paris, à la station scientifique de l'Académie Polonaise des Sciences

Krzysztof Pomian : la chronologie des évènements de l'année 1989

(voir transcription abrégée à côté)

Karol Modzelewski : les processus politiques qui ont abouti à la Table Ronde

(voir transcription abrégée plus bas)

Adam Michnik : controverses entourant la Table Ronde

(voir transcription abrégée plus bas)

Echanges avec le public

Amber Gold i piramidy finansowe część Iczęść II

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Voici le compte-rendu d'une conférence portant sur les pourparlers dits de Table Ronde, qui ont eu lieu en 1989 en Pologne entre le pouvoir communiste et l'opposition. Ces pourparlers ont ouvert la voie à la démocratisation du pays. Durant la conférence, on aborde aussi l'histoire du mouvement syndical Solidarność, on parle de la situation politique de l'époque dans le bloc communiste, et on décrit les controverses qui, encore aujourd'hui, entourent la Table Ronde.

La conférence se compose de trois interventions, respectivement de M. Pomian, Modzelewski et Michnik, et d'une séance d'échanges avec le public. Voici un enregistrement vidéo intégral de la conférence, ainsi qu'une transcription abrégée des trois interventions.

Nous notons en vert le temps où commence chacun des passages cités dans la transcription. Ceci permettra au lecteur de le retrouver dans la vidéo correspondante.

Krzysztof Pomian : la chronologie des évènements de l'année 1989

(ceci est une transcription abrégée, voir vidéo à côté)

2:15 Les 15 et 16 janvier il y a des manifestations à Prague pour commémorer l'anniversaire de la mort de Jan Palach. A l'issue de ces manifestations Vaclav Havel est arrêté, il sera condamné en février.

Le 6 février, quand on condamne à Prague Vaclav Havel, commence la Table Ronde entre gouvernement et Solidarność en Pologne. Elle va durer jusqu'au 4 avril.

Le même jour du 6 février tombe la dernière victime du mur de Berlin, la dernière personne tuée par les gardes du mur.

Le 13 février, en exécution d'une décision prise un an avant, et ça, ç'est un point extrêmement important, parce que d'une certaine manière c'est le déclencheur des évènements, les derniers soldats soviétiques quittent Kaboul.

Le 17 avril Solidarność est légalisée en Pologne.

Le 2 mai la Hongrie démantèle les barbelés à la frontière avec l'Autriche. Moscou ne réagit pas.

Le 8 mai paraît le premier numéro de Gazeta Wyborcza, sous la direction de mon voisin de droite [Adam Michnik].

Le 3 juin, répression sanglante du Printemps de Pékin.

Le 4 juin, les élections en Pologne remportées par Solidarność.

Le 6 juillet la Cour suprême de Hongrie réhabilite Imre Nagy. Le même 6 juillet Gorbatchev prononce devant l'Assemblée Parlementaire du Conseil de l'Europe un célèbre discours où il utilise la formule maison commune européenne. Le lundemain, le même Gorbatchev, au sommet du Pacte de Varsovie à Bucharest, répudie la doctrine Brejnev, c'est-à-dire la doctrine de la souveraineté limitée des pays du camp socialiste.

Le 19 août Tadeusz Mazowiecki est désigné premier ministre.

Le 23 août une chaîne humaine entre Vilnius et Tallinn en passant par Riga, sur 630 km, réunit 1 500 000 personnes pour protester contre les conséquences du protocole secret joint au pacte Ribentropp-Molotov d'il y a 50 ans. Et c'est le début de la dernière phase de la lutte des peuples baltes pour leur indépendance.

Le 12 septembre Tadeusz Mazowiecki présente son gouvernement et obtient la confiance de la Diète.

Le 29 septembre, changement de la constitution polonaise, abolition du rôle dirigeant du Parti Ouvrier Unifié Polonais (POUP - PZPR), la Pologne n'est plus un État socialiste et populaire (entre guillements, évidemment, les deux termes).

Les 16 et 20 octobre une session du parlement hongrois instaure un système multi-parti en Hongrie.

Le 23 octobre, proclamation de la République de Hongrie, qui n'est plus une république populaire.

Le 25 octobre, 8 mille personnes manifestent à Leipzig contre le régime de la RDA. C'est le début des manifestations qui vont se répéter ensuite chaque semaine en allant crescendo, ça se termine avec 150 000 à 500 000 personnes à un certain moment.

Le 17 octobre démission forcée de Honecker, premier secrétaire du partie communiste de la RDA, la SED.

Le 4 novembre, rassemblement protestataire de citoyens de la RDA sur Alexanderplatz à Berlin.

Le 9 novembre, chute du Mur de Berlin.

Du 6 au 27 novembre manifestations à Prague, c'est le début de la Révolution de Velours.

Le 27 novembre, manifestation à Leipzig, Wir sind ein Volk, c'est la première fois que le problème de l'unification de l'Allemagne est posé dans une manifestation de masse.

Le 5 décembre démantèlement des barbelés aux frontières de la Tchéchoslovaquie avec l'Autriche et la République Fédérale Allemande.

Le 21 décembre, début des manifestations contre le régime de Ceausescu.

Le 25 décembre, procès et exécution des époux Ceausescu.

Et le 29 décembre, élection de Vaclav Havel à la présidence de la République Tchéchoslovaque.

8:51 Comment se fait-il que la Table Ronde est devenue en Pologne l'objet de controverse politique et de dénigrement systématique, même si cela semble s'être légèrement calmé ces derniers temps? (note : l'intervention d'Adam Michnik ci-dessous parle de cette question)

Karol Modzelewski : les processus politiques qui ont abouti à la Table Ronde

(ceci est une transcription abrégée, voir aussi vidéo plus haut)

0:40 On se dispute la priorité : les Allemands sont fiers d'avoir ouvert le chemin de la réunification de l'Europe en abolissant le Mur de Berlin, les Tchèques sont fiers d'avoir fait les premiers la Révolution de Velours. Hors de doute qu'avec les élections perdues par le parti communiste et avec la formation du premier gouvernement non-communiste de l'autre côté du rideau de fer, la Pologne était la première. Mais la question me semble mal posée et les disputes me semblent ridicules parce que ni la Table Ronde, ni la Révolution de Velours, ni l'abolition du Mur de Berlin n'étaient concevables sous Brejnev.

Ça commence en quelque sorte à Moscou, avec Gorbatchev, avec sa prise de conscience d'une crise de la position de la puissance soviétique dans le monde, et avec une tentative de moderniser l'URSS, de faire une véritable ouverture vis-à-vis de l'Occident, de faire la libéralisation du régime soviétique (mais pas de l'assommer ; Gorbatchev n'a pas voulu tuer l'Union Soviétique).

4:14 On présente d'habitude la Table Ronde comme une négotiation entre le parti communiste et le mouvement Solidarność. C'est presque évident, sauf que c'est faux à mon avis, parce que ni Solidarność, la grande Solidarność des années 80, ni le parti communiste d'antan, n'existaient plus. Ça semble être un paradoxe, parce que formellement il y avait les leaders de Solidarność, on revendiquait la relégalisation [de Solidarność]. Pour le parti communiste : il semblait bien existant, mais il n'était qu'un faux-semblant, un mannequin. Ce qui existait réellement du côté communiste de la Table Ronde, c'étaient les éléments de force, uniques éléments du régime qui fonctionnaient encore. C'était une force réelle. Ils avaient tous les moyens de faire couler le sang et de nous écraser si jamais... Mais ils étaient politiquement naufragés.

6:05 Pour ce qui est de Solidarność, le mouvement de masse n'existait plus. Les structures clandestines étaient des structures de cadres, très amaigries pendant les années de la loi martiale, et la véritable force de Solidarność, c'était la force du mythe, une force symbolique et spirituelle, mais qui était bien réelle à la fois.

6:56 Il faut expliquer ce qu'était ce phénomène étrange, inédit, absolument unique dans l'histoire de l'Europe, qu'était le mouvement Solidarność des années 1980-81.

7:40 La Pologne populaire était un régime qui forçait les citoyens,—et les citoyens obéissaient,—à remplacer la vie publique par le geste d'obéissance, comme voter aux élections qui n'étaient pas des élections, comme aller manifester au 1er mai. [Le régime] écartait les citoyens de la cité, pour ainsi dire. Un citoyen qui voulait revendiquer ses droits de citoyen s'exposait à des risques, y compris, dans des cas extrêmes, au risque d'aller en prison. Il fallait vivre avec la nuque courbée.

9:10 En août et septembre 1980, avec la grande grève,—qui est dans ces régimes toujours aux limites de la révolution, de l'insurection nationale,—c'était la prise de souveraineté par des millions de gens. Toutes les usines en grève étaient autant de républiques indépendantes dans le cadre de l'Europe de Yalta, où les gens s'organisaient d'eux-mêmes, organisaient toutes les structures de leur vie spontannément. Il y avait environ 700 000 personnes en grève en août 1980, et plusieurs millions de personnes qui ont formé ensuite le syndicat Solidarność.

10:35 Il y avait des milliers et des milliers de comités de fondation de Solidarność, et il y avait autant de Jeanne d'Arc (hommes et femmes, bien entendu) qui ont senti leur vocation et qui ont organisé leurs collègues. Ils ont construit une deuxième Pologne indépendante, dans le cadre de la Pologne dépendante.

12:30 La Solidarność d'antan (1980-81), la "grande Solidarność" comme nous disons, c'était un mouvement de foules actives, créatives et convaincues de leur souveraineté. C'était un phénomène qui a duré 16 mois et qui avait une certaine logique qu'on appelle normalement la logique révolutionnaire.

13:28 On sentait l'epée de Damoclès soviétique au-dessus de nos têtes. En décembre 1980, un an avant la loi martiale, l'armée soviétique, avec des divisions tchèques et est-allemandes, était prête à entrer en Pologne. Le jour et l'heure de l'entrée étaient établis. Suite à une pression américaine, les Soviétiques ont décidé d'attendre encore et de faire davantage pression sur les dirigeants polonais pour qu'ils fassent eux-mêmes la répression indispensable.

15:58 [En mars 1981] après l'intervention brutale de la police qui avait frappé brutalement les dirigeants régionaux du syndicat à Bydgoszcz, on s'est mis en grève d'avertissement qui a duré 4 heures, qui était absolument générale. Les sentinelles de grève dans les usines étaient composées par trois organisations : Solidarność, les syndicats officiels communistes, et les comités du parti communiste. Donc qu'est-ce qu'était ce gouvernement? Dans l'isolement politique absolu.

16:40 [Sous la loi martiale, en décembre 1981] il y avait une grève à l'usine d'armement RAWAR (il y avait des grèves ici et là, pas partout, c'étaient des îlots dans la mer d'intimidation). Un char d'assaut a forcé la porte de RAWAR. [Le dialogue qui s'ensuivit entre la police et les grévistes :]

— "Il faut sortir. Vous sortez?"

— "Non."

— "Chargez les armes."

Il fallait [alors] choisir quelque chose : vivre ou mourir. Les grévistes ont choisi de vivre, d'autres l'ont choisi sans faire de grève, mais c'est un moment où quelque chose psychologiquement craque.

Il y a des héros dans tous les peuples, mais un peuple héroique, je n'en connais pas, à vrai dire. Et heureusement pour les peuples, parce que les héros sont bons pour tomber au champ d'honneur, et les peuples doivent vivre.

19:05 Quelque chose psychologiquement a été cassé, depuis ce moment-là finie la grande activité spontannée des masses.

19:45 Ce qui restait de Solidarność, c'était une partie des cadres, les plus intransigeants, les plus motivés, et les leaders historiques.

21:18 On change intérieurement quand on se laisse abandonner par la base. On devient plus intransigeant dans les paroles, et vous avez surtout les propos qui définissaient l'adversaire en termes nationaux: [les dirigeants communistes] sont des représentants de la puissance étrangère, et rien de plus.

24:00 [Sur le rôle du parti sous la loi martiale] Le conseil militaire, fantoche aux yeux des militaires, n'était pas fantoche vis-à-vis du parti, parce qu'il décide qui doit être nommé secrétaire régional du parti. Il y donc la loi martiale à l'intérieur du parti, parce que le parti lui-même n'est plus digne de confiance. En outre, le parti perd au profit des commissaires miltaires et des flics de Securité introduits dans les usines sa fonction socio-politique majeure, dite nomenklatura, c'est-à-dire le pouvoir de contrôler politiquement les promotions des cadres à partir de chef d'équipe de travail ou de contremaître jusqu'au directeur de l'entreprise. Ainsi, le parti se trouve mis à l'écart par l'armée et la police politique (militarisée elle aussi). Ça coupe les racines du parti.

27:00 Jaruzelski et ses compagnons avaient apparemment le pouvoir absolu, mais il leur manquait un élément essentiel, qui est absolument indispensable, aussi dans les dictatures, aussi dans le communisme : la légitimité interne. Ils n'ont pas de légitimité, ils n'ont que la force.

27:39 Jaruzelski était un général intelligent, il a fini par comprendre qu'il fallait en sortir. Et il a fallu chercher des interlocuteurs.

Finalement, en 1988, deux vagues de grèves éclatent en Pologne, qui ont des causes économiques. Ce n'étaient pas des grèves organisées par Solidarność, [mais] par de très jeunes ouvriers, qui à l'époque de la grande Solidarność avaient été écoliers.

30:00 Après la deuxième vague de grèves, les généraux prennent contact avec Wałęsa, et lui demandent: "lancez le mot d'ordre pour que ces grèves finissent, on ne peut pas négocier tant que les grèves continuent". Et [Wałęsa] lance un mot d'ordre : il faut finir les grèves. Et les grèves finissent.

Les généraux avaient une bonne police, ils savaient que ce n'étaient pas les cadres de Solidarność. Ils ont réalisé qu'ils avaient affaire à un mythe. Et là ils sont impuissants : ils ont des chars, ils ne peuvent pas écraser le mythe avec les chars. Il faut négocier avec les dépositaires légitimes du mythe. C'est ainsi que commence la Table Ronde.

Il faut encore convaincre le parti, le comité central à accepter cette démarche absolument insolite.

32:00 Le comité central se révolte. Jaruzelski force le bureau politique à démissionner, et le comité central capitule devant Jaruzelski, qui est détesté par ces gens, parce qu'il est mou, parce qu'il tremble devant le Pape, parce qu'il flirte avec les évêques, il n'est pas bon communiste. Mais on ne peut pas le remplacer parce que la force, c'est l'armée et la police, dont il est le chef. La confiance de Moscou, c'est lui qui l'a. Le parti a capitulé devant les généraux, parce qu'il était un faux-semblant.

33:40 Pendant la Table Ronde chaque parti est tombé dans les troux qu'il a creusé pour faire tomber l'autre. Les généraux ne voulaient pas rendre le pouvoir, ils ont voulu légitimer le pouvoir avec la participation de l'opposition. Pour cela, ils ont insisté qu'on fasse des élections partiellement libres. Avec beaucoup de peine, il se sont décidés finalement à légaliser Solidarność.

Et nos copains étaient terrorisés par la perspective de participer aux elections, ils tenaient surtout à relégaliser notre syndicat chéri. Et on a fait les deux : légaliser le syndicat et les élections. Suite aux élections les généraux ont en quelques mois perdu le pouvoir, et le pouvoir fut pris par Solidarność. Tandis que le syndicat, qui a été légalisé, était beaucoup plus faible que la grande Solidarność, n'avait que quelque deux millions adhérents (tandis que la grande Solidarność avait eu plus de 9 millions), n'avait pas de dynamique.

37:40 La question pourquoi les communistes on rendu le pouvoir est partiellement là. D'abord, ils n'ont pas voulu. Ensuite, ils ne se sont pas apperçus. Mais quand ils se sont apperçus, ils ne se sont pas décidés d'annuler les élections, de faire un recours à la force (qu'ils avaient encore), et Jaruzelski en tant que président de la République n'a jamais rien fait pour faire valoir son emprise sur l'armée, la police et les cadres de l'État pour bloquer le transfer de pouvoir.

Adam Michnik : controverses entourant la Table Ronde

(ceci est une transcription abrégée, voir aussi vidéo plus haut)

0:13 Voix de la salle criant vers Michnik :

— Grâce à vous on est toujours sous la botte de la junte communiste.

Michnik :

— Voilà, c'est une très bonne introduction à mon discours.

0:33 Comme advocatus diaboli, je suis obligé de dire que Monsieur a raison, la Pologne est toujours sous la dictature communiste. C'est pas suffisamment clair pour la majorité de mes compatriotes. L'absence de cette conscience est le résultat terrible de la Table Ronde, parce que c'était une grande manipulation. Le sens réel de la Table Ronde, c'est l'accord entre les rouges et les roses. Les rouges, ce sont sont les bolcheviks. Les roses, ce sont les types de l'opposition qui, grâce à cette manipulation, ont pris le pouvoir dans le mouvement Solidarność. Ils ont préparé une grande trahison nationale. Voilà le résultat de la Table Ronde.

2:02 Quelle tactique aurait été plus efficace à ce moment-là? Premièrement, jamais de pourparlers avec les communistes, parce que les communistes sont le diable. Deuxièmement, il fallait attendre, parce que le communisme était déjà mort. Et seulement la Table Ronde a rendu possible la continuation de ce régime anti-polonais.

2:59 [La Table Ronde était] une grande action pour la domination de voleurs dans la vie publique, économique etc. Des types de Solidarność comme Jacek Kuroń, comme Modzelewski, comme Michnik, et surtout comme Wałęsa, il est clair pour tout le monde aujourd'hui qu'il ont tous été pour le communisme, pour les agents des services spéciaux.

3:58 Ce sont des thèses qui fonctionnent chaque jour dans le débat publique en Pologne.

4:17 Malheureusement je ne suis pas aujourd'hui le diable numéro un, parce que depuis, je pense, trois mois, le diable numéro un, c'est Wałęsa.

5:00 Fonctionnent aussi d'autres théories : la Table Ronde, c'est un grand accord entre les deux formations de la bourgeoisie, un grand complot contre le socialisme, la classe ouvrière. Ce sont des thèses qui fonctionnent à l'extrême gauche en Pologne ou la gauche, disons, alter-globaliste.

6:30 Solidarność était le dernier grand mouvement ouvrier dans le monde.

7:05 Dans Solidarność, si je peux simplifier, trois grandes tendances ont fonctionné : la tendance pour l'émancipation du travail, le mouvement pour revendiquer les droits des ouvriers, les droits sociaux, et aussi pour changer la situation matérielle [des ouvriers] ; la deuxième tendance, pour l'émancipation nationale, pour revendiquer les traditions nationales, religieuses etc. (disons que c'était une formation nationaliste-catholique) ; la troisième tendance, disons la gauche libérale, très forte parmi les intellectuels, l'intelligentsia, les étudiants. La tradition de cette troisième tendance, c'est octobre 1956, puis 1968, puis le KOR [Comité de la Défense des Ouvriers].

9:04 Solidarność était une grande confédération nationale contre la dictature communiste. La fin du communisme, c'était la fin de cette unité nationale contre le communisme.

10:33 Maintenant nous pouvons trouver les anciens fonctionnaires du parti communiste dans le business, dans l'administration, dans la diplomatie. Dans ce sens-là peut-être cet homme a peut-être raison que les anciens communistes ne sont pas tués.

11:10 Le débat autour du sens de la Table Ronde, c'est un débat sur l'avenir de la Pologne. Si nous voulons avoir un Etat démocratique et tolérant, Etat commun pour tous les citoyens, ou au contraire nous voulons construire l'Etat par exclusion, sous critères différents (éthnique, politique, religieux, idéologique). C'était une idée traditionnelle : l'Etat catholique de la nation polonaise, c'était le slogan de l'extrême droite avant la deuxième guerre mondiale. Maintenant ça fonctionne sous des formes différentes, mais l'idée fondamentale est la même.

13:11 Si nous déclarons que [les communistes ont abandonné le pouvoir] parce qu'ils n'avaient pas d'autre possibilité, si dans cette décision il n'y a pas de mérite de Jaruzelski, de Kiszczak ou d'autres, alors nous pouvons aujourd'hui juger ces types devant des tribunaux. Et cette philosophie fonctionne en Pologne.

14:50 Quatre ans après la transition en Espagne nous avons vu un coup d'Etat du colonnel Tejero. En Pologne, grâce à la présence de Jaruzelski et de Kiszczak dans le premier gouvernement de Mazowiecki, nous n'avons pas eu de complot d'anciens des services spéciaux ou militaires contre l'Etat démocratique si faible.

16:04 Je pense que cette transition polonaise est le plus grand succès politique polonais dans tout le 20ème siècle. Chaque année nous organisons de grandes fêtes sur l'Insurrection de Varsovie, qui était un geste héroique, mais dans le sens politique c'était le moment le plus tragique dans l'histoire de Pologne dans le 20ème siècle (beaucoup de victimes et aucun résultat positif).

17:37 [La Table Ronde] a été possible grâce à la politique de perestroïka de Gorbatchev. J'ai eu l'occasion de dire à Gorbatchev directement "grâce à vous nous pouvons aujourd'hui discuter à Moscou comme des citoyens libres". Sous Leonide Brejnev c'était impossible, et je vais risquer l'opinion que sous le gouvernement de Poutine ce n'est pas aussi possible que sous la direction de Gorbatchev.

20:42 Je ne peux pas expliquer pourquoi les communistes ont décidé [pendant la Table Ronde] d'accepter l'idée de Kwaśniewski des élections libres au Sénat. Pour moi c'était un choc total. Nous avons pensé que c'était un piège. [Nous avons] accepté la proposition d'un président assez puissant (ce serait Jaruzelski) parce que les élections libres au Senat, c'était la révolution.

23:46 [La Table Ronde] a été une trahison double. Pour la conscience extrême qu'il faut se battre contre le communisme, Wałęsa et nous tous avons été des traîtres, parce que nous avons déclaré "maintenant il faut changer notre tactique, notre style de vie". Et les réactions ont été très diverses. La minorité radicale a déclaré que nous n'avions aucune chance, parce que la nomenklatura communiste allait toujours dominer, et que nous serions des poupées entre ses mains.

25:41 Nous avons pensé que c'était temps, que c'est à ce moment là qu'il fallait prendre le risque parce que les communistes au pouvoir à Varsovie étaient relativement très ouverts, les communistes à Moscou étaient si engagés dans leurs conflits internes, alors maintenant il fallait aller au pouvoir.

29:14 Jacek Kuroń et moi-même, nous avons pensé qu'après les élections Solidarność doit prendre le gouvernement, mais il faut respecter les réalités géopolitiques : votre président [communiste, Jaruzelski], notre premier ministre. Dans le milieu de la représentation de Solidarność dans le parlement c'était une proposition minoritaire. La majorité était contre.

Voilà, ce sont les réalités de notre trahison dans cet annus mirabilis.

La Pologne a dans son avenir beaucoup de problèmes. Les institutions démocratiques sont assez faibles, les forces antidémocratiques sont trop fortes, le modèle de poutinisme, la démocratie souveraine.

La démocratie souveraine, qu'est-ce que c'est? C'est la démocratie où je peux arrêter mes adversaires, et ce n'est pas le problème de Strasbourg ou de Bruxelles.

Je pense que la philosophie politique des frères Kaczyński, c'est le poutinisme dans les rapports polonais.

Nous avons encore beaucoup de problèmes, mais je pense que ces deux dernières décénies sont les meilleures pour la Pologne sur les trois derniers siècles.

Transcription, caméra par Marcin Skubiszewski.

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O Okrągłym Stole by skubi November 30, 2009, 11:22:30 PM

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